Nabil Djellit fascine autant qu’il agace. Son compte Twitter fait partie des plus suivis parmi les journalistes sportifs. Ses prises de position suscitent les réactions les plus folles. Mais derrière tout cela se cache un fin connaisseur du football, notamment du football africain. Un journaliste souvent bien informé quand il s’agit de donner une info mercato.
Thibaud Vézirian. Le football entretient tous les fantasmes. Vous qui travaillez au cœur de ce monde, quel regard portez-vous sur les coulisses de ce sport ?
Nabil Djellit. C’est un monde fascinant qui en dit beaucoup sur la nature humaine. Beaucoup de choses se mélangent : les émotions, la passion, l’argent, le rapport à l’argent. Et forcément, des humains, des joueurs pour qui va tout très vite. Trop vite. Ils n’ont pas la perception nécessaire pour conduire leur carrière comme ils devraient le faire. Le rôle de l’entourage, des conseillers, est aujourd’hui primordial pour réussir en partie sa carrière. Évidemment, celui qui réussit, c’est le joueur, via son niveau d’exigence et son professionnalisme. Parfois, l’agent fait le bonheur !
« J’ai déjà fait des interviews où le joueur fait exprès de citer le nom de son agent »
T.V. Depuis vos débuts dans le métier de journaliste il y a plus de 10 ans, comment avez-vous vu évoluer le métier d’agent ?
N.D. Dans le monde de la boxe dans les années 80, il y avait très peu d’agents, on appelait ça des imprésarios. En football, avec l’arrêt Bosman en 1995 et la multiplication des mouvements, ça a généré une économie plus importante. Avant, on avait le droit à 3 « étrangers » par équipe… L’explosion du marché des joueurs a été suivie par l’explosion du marché des agents ou conseillers sportifs. La législation diffère selon les pays. Certains s’adossent à un avocat ou mandataire sportif, certains travaillent sans diplôme… De manière triviale, beaucoup se disent que le secteur est économiquement intéressant. Avec la possibilité de gagner beaucoup d’argent, rapidement. C’est humain.
Justement, n’est-ce pas un problème ? Puisque vous dites dans un tweet que « tout le monde veut devenir agent », ne faut-il pas réglementer un peu plus à l’échelle mondiale ?
N.D. Agent, c’est un métier. Il ne faut jamais l’oublier. Ne jamais se le retirer de l’esprit. On ne débarque pas pour faire une transaction et terminé. Oui, tu peux faire un coup. Mais ce qui est important, c’est de pouvoir structurer, construire une carrière, accompagner un joueur, le conseiller. Et ce, même si la décision finale revient toujours aux joueurs. La relation unilatérale agent-joueur s’est complexifiée avec le temps. L’environnement autour des joueurs est de plus en plus important, avec des familles, des copains aux codes similaires. Ils essayent eux aussi de participer à la gestion d’une carrière. Parfois avec bonheur, parfois malheureusement avec des choix mauvais pour la carrière du sportif.
« Certains sont capables d’envoyer des faux mandats »
Justement, des choix vous surprennent encore dans les coulisses du football ?
N.D. Le dernier truc « olé olé », ça a été le transfert d’Osimhen à Naples. Son agent historique a été débarqué en cours de transaction. Certains disent que c’est le joueur qui l’a décidé mais parfois, il y a des coups de pression. Et les joueurs n’ont pas toujours le choix. Pour signer dans un club, tu dois être avec untel et pas avec untel… On a aussi des deals qui trainent parce qu’il faut mettre plusieurs personnes d’accord, notamment dans l’environnement du joueur. Souvent au détriment de ses intérêts… Pour faire simple, voilà quelque chose qui coûte parfois un transfert ou une réputation : c’est lorsque plusieurs agents se présentent et disent le représenter. Les directeurs sportifs et les clubs détestent ces situations. Ce que je comprends. Il faut dénouer des nœuds, distinguer le vrai du faux. Oui, vous avez des mandats mais certains sont capables d’envoyer des faux mandats ! C’est un travail de vigilance. Plus c’est carré, plus on sait qui vous représente, mieux c’est pour le joueur. J’ai déjà fait des interviews où le joueur fait exprès de citer le nom de son agent, pour envoyer un message clair aux clubs. Ce ne sont pas 80 mecs sortis de nulle part !
Quels conseils donneriez-vous à un jeune agent ?
N.D. Déjà, quand tu démarres, il faut aller voir des matchs. Encore et encore. (il rit) S’imprégner du terrain, des codes. Mais on va être cash : c’est comme être commercial. Parfois, tu peux avoir un diplôme et ne jamais être un bon vendeur. Parfois, tu peux ne pas être diplômé et être un super vendeur. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas avoir le diplôme puisque ça te structure, t’aide d’un point de vue juridique et sur plein d’autres aspects. D’ailleurs, aujourd’hui, on voit l’évolution du métier. Un agent est rarement seul : c’est souvent des petites PME avec chacun sa spécialité. Au-delà de l’aspect sportif, ça va de la gestion du patrimoine du joueur à la gestion de ses réseaux sociaux. C’est devenu vital.
« Les meilleurs survivront »
Le football est bouleversé par la crise Covid-19. À quoi doit-on s’attendre dans les mois à venir ? Tous les clubs doivent dégraisser leur effectif ?
N.D. Dégraisser, ça veut dire vendre. Vendre, ça veut dire acheter. Et personne n’a d’argent pour acheter. Tu peux vouloir dégraisser, même à tarifs préférentiels, et ne pas dégraisser grand-chose. Si je puis me permettre cette expression, puisqu’on parle d’humains quand même… (il sourit) On a en ce moment un vrai marché d’ajustements. Beaucoup de prêts. Des prises en charge de salaires. Et peut-être le développement petit à petit à tout niveau du « leasing », avec des prêts sur 2 ans. Ça s’est fait avec des joueurs comme James ou Coutinho, on pourrait voir ça avec des joueurs de moindre niveau. Il faut lisser au maximum. Et enfin, on verra une rationalisation du monde du football, qu’il faudra faire accepter notamment chez les joueurs. La baisse des salaires semble obligatoire.
Et pour les agents ?
N.D. Pour les agents, ce ne sera pas une situation simple, ça risque d’être les derniers payés dans l’histoire. Récemment, j’ai entendu parler de retard de commissions. Ce qui est logique… Mais pas normal. Les meilleurs survivront…
Zone technique
Nabil Djellit, né le 1er juin 1979, journaliste La Chaine L’Equipe/ France Football/ Canal+ Afrique
Geste technique préféré : Le flip flap, extérieur-intérieur ! Ronaldinho l’a rendu célèbre, Rivelino aussi. Et encore avant, un joueur algérien, Salah Assad. Il a joué au PSG et à Mulhouse. Avec lui, c’était intérieur-extérieur !
Idoles de jeunesse : Diego Maradona, Zinedine Zidane et Rabah Madjer en football, Noureddine Morceli (athlétisme), Marco Pantani (cyclisme), Hakeem Olajuwon (NBA) et Mike Tyson (boxe).
Ton match préféré : Il y a eu le France-Brésil de 2006, Zidane avait donné la leçon. Et puis un Algérie-Egypte 2009, au Soudan, pour un match d’appui. Avec une tension incroyable. Des Algériens avaient été caillassés et blessés au Caire. Ce match a permis à l’Algérie de se qualifier pour la Coupe du monde. Historique.
Entretien réalisé par Thibaud Vézirian. Rédacteur en chef.
Journaliste, présentateur, chroniqueur et producteur… Vous pouvez me retrouver sur La Chaine L’Équipe, CNews et sur ma chaine YouTube T.V. Sport.